samedi 18 mai 2013

Licenciement abusif et exposition à l'amiante : Ideal Standard devant les juges

CHARLEVILLE-MEZIERES (Tribunal de grande instance). Six heures d'audience, 124 licenciés d'Ideal Standard, un avocat médiatique (Philippe Brun), une entreprise mythique (Porcher), des dommages et intérêts qui pourraient se chiffrer en dizaines de millions : ce procès-fleuve restera dans les mémoires.

Vendredi matin, sous une pluie fine, ils sont plus d'une centaine de Revinois, et plus largement d'Ardennais, à faire les cent pas sur le parvis mouillé du Palais de justice, à Mézières. La salle du conseil de Prud'hommes de Charleville n'étant pas assez grande pour accueillir tout le monde, le procès tant attendu a lieu au TGI, dans le cadre de ce qu'on appelle une « audience foraine ».

8 h 40. Tous les regards se tournent vers la rue. Me Brun arrive, précédé de sa tignasse poivre et sel. Le célèbre avocat qui, depuis son premier procès, il y a vingt ans à Reims, contre le groupe Vuitton, s'est fait une spécialité de la défense des travailleurs, demande du renfort. Preuve de l'ampleur du procès, il faut quatre gaillards pour porter toutes les pièces du dossier.

Le portique de sécurité passé, chacun s'installe dans la salle d'audience. Le procès va commencer. Il durera jusqu'à 15 h 30. Sur les 148 salariés mis à la porte le 22 avril 2011, lorsqu'Ideal Standard a fermé Porcher, 124 ont décidé de se battre en justice.

« Parmi eux, seuls 22 ont retrouvé un emploi en CDI et trois ont créé leur entreprise, glisse Philippe Brun. Leur moyenne d'âge au moment du licenciement était de 49 ans, et leur ancienneté moyenne était de 24 ans. » Devant les Prud'hommes, sa plaidoirie, écoutée quasi religieusement, vise à faire reconnaître deux fautes : primo un licenciement sans cause réelle et sérieuse, secundo un « préjudice d'anxiété » liée à l'amiante.

Dans le premier cas, il explique que l'employeur « a manqué à son obligation de reclassement ». En clair, il aurait fallu proposer des postes aux salariés dans l'ensemble du groupe ISI (11 000 salariés dans le monde, dont ceux d'Ideal Standard), et couvrant tout le secteur d'activité du groupe.

Au lieu de ça, sept postes seulement ont été proposés en France, et 33 en Europe (sur 4 400), tous requérant un haut niveau d'études, et tous destinés à ne produire qu'une seule catégorie de produits (la céramique). Philippe Brun entend ensuite démontrer qu'il y a eu « violation de l'ordre des départs ». Par exemple : « Pour le personnel cadre, a été prise en compte l'ancienneté du salarié, et pour le personnel non cadre a été pris en considération le niveau de qualification […]. Le choix des salariés à licencier n'a pu qu'être entaché d'irrégularités. »

Face à lui, l'avocate Drossoula Papadopoulos, défendant Ideal Standard, rappelle que dans le cadre du plan social, les salariés ont signé en mars 2011 un accord leur donnant droit notamment à une indemnité de 30 000 euros. Et qu'à ce titre « leurs réclamations sont irrecevables ».

Philippe Brun répond que l'argument n'est pas valable, en s'appuyant sur la jurisprudence de la Cour de cassation.

Des sommes astronomiques

Le second motif de plainte des salariés concerne l'amiante. Entre 2008 et 2010, trois d'entre eux sont tombés malades à cause d'elle. Tous les autres ont peur. Philippe Brun dit les choses sans détour : « Alors que l'entreprise a tout fait pour empêcher une expertise des lieux, l'administration du travail, lorsqu'elle s'est enfin rendue sur place en 2011 et 2012, a rédigé un rapport édifiant : il y avait de l'amiante partout et tous les salariés ont été exposés. Le rapport a clairement pointé la « carence de l'entreprise » sur ce sujet. »

Pour tous ceux qu'il défend, « et qui ne veulent pas subir une double peine, après la perte de leur emploi, celle de leur santé », l'avocat a demandé une indemnité de 30 000 euros par personne. Plus largement, les dommages et intérêts qui ont été réclamés hier pourraient atteindre quelques dizaines de millions d'euros.

Pour le licenciement économique sans cause réelle et sérieuse, l'avocat demande entre 12 et 48 mois de salaires en fonction de l'ancienneté et de la difficulté à retrouver un emploi. Pour la violation de l'ordre des départs, deux ans de salaires.

Si l'on prend le cas de Jean-Pierre (*), les dommages et intérêts demandés se répartissent ainsi : 92.138,88 euros pour le licenciement, 46.069,44 euros pour la violation et 30.000 euros pour le préjudice d'anxiété.

Le délibéré a été fixé au 25 juin.

* Prénom d'emprunt.


Guillaume LÉVY